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Confinement

Il y a quelques siècles déjà..

Même si ceux qui le mettent en lumière sont accusés de complotistes, le fait que la médecine et le contrôle social soient de pair n’est pas nouveau.  L’influence de l’industrie des pharmacies n’est pas des moindres dans la manière de gérer les crises. De même qu’un état ne décrète pas un confinement du jour au lendemain pour le lever un mois plus tard.
Mi-avril, le gouvernement instaure un mois de plus, et nous prépare au fait que le déconfinement ne sera pas une grande fête où l’on pourra jouir de libertés et de rencontres. Il y a une raison à cela et toujours la même, le virus n’a pas fini de faire des morts. Et il ne faudrait pas ré-engorger l’hôpital: payer des intérimaires, un peu de matériel et du chocolat, ça va un mois mais pas plus.

Au bout de deux mois de confinement en France, la proportion de personnes infectées par le virus devrait être de 5,7% (chiffres donnés par la presse locale dans un pays qui ne met pas de tests à disposition). On peut imaginer le temps qu’il nous faudra encore passer à demi confinés à circuler avec des attestations, pour atteindre la barre des 70%, qui pourrait alors nous immuniser largement. Il se pose alors cette question: mais combien de temps allons-nous accepter de nous enfermer ? Le temps commence à être long pour certains, le confinement suivi à la lettre pendant un mois commence à être levé sans trop savoir pourquoi à part qu’on en a un peu marre quand même. Et oui si on accepte cette réponse autoritaire un mois on l’accepte peut-être six ou sept finalement, à moins que les confinés se rebellent contre ce qui n’a pas fini de nous déconfire.
Les épidémies se caractérisent par la rapidité à laquelle une maladie peut se propager et créer des dégâts. Mais elles mettent aussi des années à s’endiguer. Ainsi le virus de la grippe espagnole de 1918 aurait circulé jusqu’en 1957 et celui de la grippe de Honk-Kong en 1968 serait toujours en circulation. Si ce n’est pas le coronavirus, ça sera un autre.
Petit retour sur le traitement de la lèpre dès le moyen-âge, à l’heure où l’enfermement était également la réponse apportée, mais de manière forcée et ciblée sur les malades.

Au XIème siècle, les malades de la lèpre passaient par la Purge, grand tribunal d’experts médecins, chirurgiens et barbiers qui jugeaient de l’état des malades pour les envoyer dans les léproseries. Ces procès étaient tenus aussi par des juges, procureur royal, greffiers, notaires et une flopée de témoins.
On assiste alors au cloisonnement société saine / lépreux, soumis à la seule autorité médicale. Ce tribunal repose essentiellement sur la dénonciation, il était ordonné de leur faire acte de toute suspicion de cas de lèpre. Des amendes sont distribuées aux « récalcitrants » qui ne voudraient pas se présenter devant la Purge. Une confiance quasi totale est faite à l’expertise de quelques médecins en contrepartie d’honoraires généreux et d’une place au sein de la royauté.
« Les médecins occupent donc une place particulière au sein de la cour : bien que spécialistes, ils demeurent les instruments de l’institution royale »i.

La notion punitive des maladies contagieuses n’a pas quitté le moyen âge. L’isolement et l’exclusion des malades de la communauté ont pourtant montré leur caractère politique et leur infondé scientifique, après des siècles d’enfermement. Si la lèpre a mené rapidement aux léproseries dès le XII ème siècle qui s’apparenteraient plus à un isolement drastique à ciel ouvert, la peste noire au moyen âge a forcé la quarantaine dans les maisons ou exclue les malades des villes, de leurs communautés.
Vers la fin du XIII ème siècle quand le royaume de france dénombre environ 2000 léproseries, les lépreux sont accusés de contaminer volontairement des puits, ce qui les exposent quelques décennies plus tard à des lois répressives. 1321, le roi Philippe Lelong instaure des ordonnances contre les lépreux : « tous ceux qui n’avoueront pas les maléfices dont ils se voient convaincus se verront emprisonnés à perpétuité dans les pays d’où ils sont originaires ; la même mesure s’appliquera aux lépreux qui pourront naître à l’avenir et à ceux qui n’auront point atteint l’âge de quatorze ans ». Leurs biens sont dans le même temps réquisitionnés au profit du roi qui les redistribueraient à la communauté permettant de venir contrebalancer la misère dans laquelle les malades plongent le reste de la société.
la culpabilisation de la maladie ne vient pas de nulle part.
ces ordonnances finissent par donner la légalité à l’église de laisser libre cours à ses désirs de vengeance envers les lépreux. Et pour durcir le clivage entre malades et personnes saines, le roi Charles de Bel instaure en 1407 des mesures plus sévères aux lépreux qui n’auront pas voulu se soumettre aux marques distinctives.

A la fin du XVème siècle pendant la purge de la lèpre, « un système médico-légal s’est mis en place qui collabore avec la justice pour donner un résultat procédural hybride, et donne fictivement le dernier mot à la justice alors que la science est, de fait, toute puissante. »ii
les médecins ne doivent pas s’écarter de l’autorité et sont sanctionnés s’ils exercent en dehors du cadre de la juridiction de la Purge. Le pouvoir de dire qui est lépreux ou pas, qui doit être isolé et enfermé appartient finalement aux consuls et juges royaux.

Les léproseries furent parfois vantées comme des lieux refuges ; là où les malades étaient obligés de se cacher dans les villes et de dormir dehors, ils pouvaient y vivre alors une douce déportation.
En 1726, les autorités se concertent quand aux réponses à apporter à l’épidémie, et ce qui en sort n’est pas moins qu’un enfermement et une exclusion de la communauté:
« Tout individu désigné comme lépreux doit se présenter à la commission sanitaire centrale. S’il était reconnu lépreux, il devait être immédiatement séquestré à la léproserie. Une exception était faite en faveur des lépreux qui s’engageaient à quitter la colonie ou qui justifiaient de moyens suffisants pour recevoir dans leurs familles les soins réclamés par leur état. »iii

La dernière léproserie de France ferme en 1982. En 1996, Tokyo abroge la loi de l’internement obligatoire des malades de la lèpre.

 

Le traitement de cette vieille épidémie rappelle amèrement les amendes aux « récalcitrants » du confinement, la ligne d’une parole médicale hégémonique qui produit un clivage social énorme, quand aux balances et aux experts bien logés dans leurs privilèges, ils sont toujours là aussi.
et pourtant, la plupart des gens laissent les décisions sur leur corps et leur santé se discuter dans ces conseils d’état à la santé, ne croyant pas en d’écœurantes alliances politique et médicale.

Si on compare notre imaginaire et ce que certains chercheurs ont découvert sur la lèpre, on voit le pouvoir de la peur de la contagion qui a permis l’enfermement de milliers de malades. Si les murs des léproseries ne suffisaient pas à rassurer la population, on les séparait du reste de la ville par une zone de 3km, comme cela a été fait en Espagne. S’il s’agit de rassurer une foule, on peut aller loin.

La lèpre est contagieuse, dans sa forme lépromateuse plus que tuberculoïde. La bactérie (le bacille de Hansen) se transmet par éternuements et sécrétions et non au détour d’un regard. Une prédisposition génétique à contracter l’infection est découverte en 2003: un terrain héréditaire serait favorable à la contamination. Dans ce même temps, l’OMS recense plus de 700 000 nouveaux cas de lèpre chaque année dans le monde, avec une bonne proportion de personnes qui la contractent sans tomber malade.

 

 

On trouvera toujours de bonnes raisons d’enfermer les autres. Il a bien fallu se dresser politiquement contre l’enfermement dans les asiles psychiatriques, même s’il n’a jamais épargné les malades et s’il revient sous diverses formes, de shoots de médicaments en chambres d’isolement surveillées par caméras. On pourrait, aussi, écouter les psychiatres et les infirmières, nous dire que c’est thérapeutique. Les écouter nous conter avec quelle bientraitance ils effectuent leur vocation soignante chaque jour. Mais bizarrement on a du mal à croire tout cela. Les crises d’angoisse et la folie nous laissent bien désemparés, sûrement plus si on choisit de prendre une autre voie que celle qui est carcérale. Mais malgré la dureté de ces situations, on croit en un traitement différent, en la possibilité de douter du pouvoir médical.

Quand on lui fait une place alors qu’on ne le sonnait pas il y a encore trois semaines, le monde hospitalier s’empresse de jouir de son semblant de pouvoir. On lui donne la parole c’est vrai, mais seulement si elle va dans le sens des autorités. Alors que les médecins peuvent être récompensés par un salaire conséquent et une place au sein des instances de conseils d’experts décisionnels, on va inventer une sorte de récompense pour les soignants de bas étage, applaudissements ou livraisons de bouffe en quantité industrielle. Puis on interrogera des infirmiers exténués à France info qui feront passer le message « s’il-vous-plaît restez chez vous! ».
Quand ce ne sont pas les applaudissements, les panneaux publicitaires « merci, prenons soin des soignants, soutenons-les » donnent la nausée. On gave de bons sentiments la partie de la population qui aurait pu se révolter et on ne cesse de légitimer ce qui nous tombe dessus par la nécessité médicale : il faut nous confiner pour soulager nos soignants. L’état essaye surtout de retourner sa veste en faisant mine de ne pas laisser crever l’hôpital. En envoyant des soignantes au front à n’en plus finir désormais, les services ne savent plus quoi faire de tant d’infirmières « renfort covid ». Mais la casse de l’hôpital continuera tranquillement son chemin dans un mois n’ayons crainte.

Aujourd’hui en regardant les offres d’emploi infirmier on tombe sur une fiche de poste qui commence ainsi : « l’infirmier sera chargé de faire respecter les règles de confinement ». Les soignants ne sont plus censés réfléchir mais sont bien redescendus à leur rôle qui leur vaut leur salaire: appliquer les prescriptions médicales. Ce qui est médical se perdant un peu dans les bureaux administratifs. Car c’est encore la même chose, il s’agit de réfléchir mais dans le bon sens du poil. Ne soyons pas outrés, la médecine est bien politique.

i« La Purge » une expertise juridico-médicale de la lèpre en Auvergne au Moyen-Âge, Johan Picot

iiidem

iiiAntoine Roussin, 1868, sur la dernière léproserie de France