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Confinement

LE CONFINEMENT DE L’ABSOLU

A l’heure où le Figaro se réjouit de voir que les convulsions épidémiologiques de nos sociétés ne soient plus annoncées au son du bourdon, du glas et du tocsin, mais bien plutôt d’une discrète notification gouvernementale s’affichant sur nos smartphone – sans qu’il ne nous soit rien donner à redire de cette intrusion numérique – on s’étonne du peu de cas fait de l’annonce de la fermeture des lieux de culte. Symptomatiquement, le commerce de la grâce et des espérances éternelles ne fait définitivement plus partie des commerces prioritaires de l’époque.

Prière est faite alors à l’Absolu de respecter les gestes barrières et de maintenir une saine distance.

Ordre a été donné à la trinité de ne plus venir postillonner sur nos couennes démocratiques.

Sainteté et consolation éternelle pourront poursuivre leur cours, mais dans le respect des consignes du gouvernement.

Face à cette clôture forcée des bureaux eschatologiques, face à ce gel de la rédemption… on s’étonne que l’épiscopat ne s’en vienne pas protester de l’embouteillage ainsi créé au purgatoire par de telles mesures gouvernementales.

Car, quand on y pense, n’est-ce pas briser ainsi le lien de la prière et venir par-là défaire cette solidarité, due par les vivants aux morts, qui a seule le pouvoir d’abréger la durée de la quarantaine spirituelle. Cette obligation pour les vivants de maintenir pour leurs morts un seuil ouvert sur l’espérance, cet impérieux devoir d’assurer, malgré la mort, leur participation à cette semence du jour futur qui était la raison de tous les testaments… c’est cela qui se trouve aujourd’hui révoqué.

Les âmes errantes ont été laissées là, assoiffées d’espérances. Leur pouls y est fébrile, les corps mystiques sont laissés en état de sous-ventilation et d’anémie spirituelle. On leur a coupé l’assistance du sacrifice propitiatoire administré quotidiennement au chevet de l’autel.

Au nom de la préservation de nos sociétés impénitentes, l’économie du salut doit faire place à l’économie du cadavre, qui d’EHPAD en Hôpitaux vient coloniser le purgatoire pour en inverser au passage la direction à sens unique… l’entrée en purgatoire était jadis promesse de vie bienheureuse quand, aujourd’hui, les peines purgatoires de l’EHPAD ne débouchent plus que sur le grand débranchement et l’anathème biologique.

Évêques, cardinaux et diacres auraient aujourd’hui beau jeu d’accourir en procession indignée – respectueux néanmoins de l’hygiénique distance – afin de venir exiger solennellement de nos gouvernants – assistés qu’ils sont de leur aréopage de vizir de la lancette et de grands sachants du clystère – l’ordre solennel et républicain d’installer fissa un grand hôpital militaire en kit propre à accueillir tous ces grands réfugiés de la rédemption.

Mais décidément, même aux yeux, pourtant théologiquement éclairées, des fonctionnaires du sacerdoce, hostie et goupillon ne peuvent plus se comprendre à l’esprit moderne que comme de possibles receleurs de miasme : le mystère est désormais tout entier biologique.

Pour consolation, cette pestilente époque nous offre un recyclage de bondieuserie chrétienne, et d’émolliente lavasse évangélique. À défaut de risquer l’aventure de se voir et de faire accueil à celui qui vient, on communie autour de naphtalisant préceptes exhortant chacun à privilégier la solidarité en principe, que des scientifiques ont pu tester en laboratoire comme infiniment moins contagieuse que la solidarité acte. La charité est devenue ainsi : l’Amour, sans risque pour soi, du prochain. Pour les nostalgiques des expériences spirituelles plus collectives, on peut toujours se rabattre sur le culte nouveau du don gratuit des saintes infirmières. La Communion des saints, mise en congé forcé, cède en effet le pas aux glorieuses blouses blanches nationales, que l’on vient prier chaque soir à 20h00, avec la même ferveur que le catholique bon teint qui se souvient du Sacrifice de l’Autel chaque dimanche pour la seule raison qu’il y vient alors plier le genou et faire ainsi montre de dévotion raisonnable. Il se murmure même que le figuier pourri de l’hôpital public pourrait donner fruit… car, quoi de mieux qu’un miracle pour sanctifier et ainsi garantir du sceau de l’inviolable une si sainte mesure de confinement.

Ite missa est.