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Retour à Paris

Retour à Paris,

Jour 1

C’est à nouveau le train. Les policiers qui controlent les entrées ne sont plus dehors mais à l’intérieur. Ils organisent les queues espacées d’un mètre avec ce zèle absurde qu’on connaît aux uniformes. Ils vérifient avec tout autant de zèle les documents, les papiers d’identité, et au faciès rajoutent quelques questions. Ils ont peur des fraudes comme si la légalité était la santé et le travail. Sur le quai deuxième contrôle. « vous savez yen a qui font des faux… »

Je m’endors aussitôt dans le train. Tout le monde porte un masque. Arrivée à la gare Montparnasse c’est en tas serré qu’on se retrouve sur le quai car la police nous bloque pour un troisième contrôle de documents. Donc ça bouchonne, tout le monde soupire devant autant de stupidité. Une femme habillée en milicienne des vieux jours a un megaphone et se trouve sur un escalier en surplomb du quai. Elle gueule sur les gens en rappelant le mètre de sécurité, pointe de sa voix des personnes supectes au policier. Je lui dis d’arreter avec un grand geste, personne ne dit rien de toute façon et moi je me tais à nouveau cernée par les policiers qui me controlent. Je pars. Dans le hall des gens proposent des taxis.

Est ce qu’on teste notre résistance ? Notre patience ?

Tous les quartiers sud sont vides, toutes les devantures sont closes. Arrivée strasbourg saint denis, ça revit un peu. D’ailleurs premier escadron de policiers à vélo.

Et des queues interminables devant les supermarchés et les bars tabacs.

On a les queues du temps de la stasi mais nous n’avons meme pas eu Octobre. Et Bregançon baigne toujours dans son indecente opulence. Echelle cellulaire, c’est là que nous pensons c’est là que nous sommes vulnérables

La passion des contrôles fait des miliciens en herbe et des délateurs d’une grande partie de la population. Quand les patrouilles auront levé les couvre-feu dans la rue, nous nous retrouverons plus fermement au clair avec ce que chacun a conçu comme « essentiel ». Il y a des vérités qui ne passe pas à la javel.

Jour 2

En service, certains sont encore là. Aucun décès, un départ en réanimation pour un profil multipathologique.

Plusieurs essais d’antibactérien.

Plus de réunions du vendredi en équipe pour savoir ce qui se passe.

Plusieurs membres du personnel testée covid en arrêt et pas encore de test d’immunisation.

Soins non stop et il fait chaud sous les blouses, surblouses et masques qui tracent leurs marques sur le visage comme après une tres longue manif. Les gazs en moins.

Il n’y aura pas de retour à la normale. La norme est une fonction d’adaptation, du corps à un milieu à des maladies ou des evenements.

Nous nous sommes adaptées, au confinement et au contrôle. Nous remplissons des papiers chaque jour qui n’ont aucun sens, la vie même est une indécence au nom d’un décret qui se targue de raison sanitaire quand le corps médical avoue enfin qu’il ne sait pas grand-chose.

Nous nous sommes adaptées à la partition de la population.

Nous nous adapterons à ce nouveau virus.

Nous étions déjà adaptées à la délégation du soin et de la médecine,quoique…

Les discours incessants sur le confinement, contre les méchants qui osent sortir alors qu’ils ne sont pas essentiels qui selon la nouvelle morale sont les propagateurs, font oublier qu’il y a eu d’autres réponses.

Jour 3

Je marche toute la rue de Belleville vers l’hopital. Contrôle devant le métro. Je passe sans être arrêtée. Je marche et heureusement il y a du monde.

Les magasins sont tous étranges, les gens dévalisent toujours les rayons, font des queues interminables sans se parler. Des vigiles à l’entrée gardent les sacs car on doit les y laisser.

Arrivée à l’hopital St louis.

Le service Covid a plein de lits vides. Les soins restent intenses mais surtout parce qu’on est présent en permanence. Il y a des protocoles d’études en cours d’une part donc le relevé des constantes et le suivi est serré. Et aussi car une dégradation peut arriver tres soudainement. J’ai du changer plus de 20 fois de surblouses, et de masques chirurgicaux placés au-dessus de mon FPP2.

Il est 20h, de la fenetre de la chambre d’un des patients où je branche une perfusion d’antibiotique, on entend les applaudissements désespérés des confinés. Le vieux monsieur qui parle très peu, fait signe des mains qu’il voudrait applaudir en me remerciant. Je lui souris sous mes deux masques donc il ne voit rien, à part mes yeux un peu fatigués probablement. Je lui dis c’est vous qu’il faut applaudir, c’est vous qui vous battez, et vous allez continuer. Ce n’est pas moi, je ne fais que vous aider. Les patients Covid ont en effet l’air abattu, comme s’ils avaient fauté. Il y a une telle culpabilisation melée d’une telle ignorance chez nous tous. Nous étions déjà dans une socièté de traumatisés sans avoir rien vécu. Voilà une épidémie coriace mais somme toute une épidémie comme il y en eut dans l’histoire. Elle nous rappelle à notre mortalité, à nos dépendances. A notre déni que nos manières de vivre pourraient n’avoir aucune conséquence fondamentale.

Moscou 1923

Kotionok,

Je t’embrasse, toi et ton Espagnole1

Je repars de l’hôpital en taxi le soir, j’ai pris le temps de m’inscrire sur la plateforme où des offres de réduction de locaion de voiture, livraison de courses, garderie et laverie sont proposées. Des plateformes de location de logements aussi, quelques hotels proposent des nuits gratuites apparemment. Mais surtout il y a une dizaine de coach on line et d’offres de 10 minutes de méditation gratuites qui annoncent des réductions pour les soignants.

Le taxi qui vient me chercher est un tunisien, il m’explique que à part leur plateforme il n’y a plus de boulot. Les seuls contrats qui restent sont avec l’ap-hp. l’hopital au secours de l’économie. Un de ses collegue qui n’est pas sur la plateforme a bossé 11h aujourd’hui et a gagné 13 euros. Il est locataire de sa voiture et ne pourra pas assurer ce mois.

Lui il commence par un discours classique « ah ces gens qui sortent ils vont faire durer le confinement, les soignants demandent à ce qu’ils restent à la maison pourtant ! »

moi : « oui certains, mais surtout on demande du matériel. Et non le confinement ne dure pas à cause des gens qui sortent. c’est un pretexte. »

« En tunisie,on a que 635 cas, je crois. Le confinement est par région, on ne peut pas voyager d’une région à l’autre mais chez soi on peut sortir. On est pas entassé comme ici. Et on partage les courses…On a que 25 lits de réanimation on doit faire attention. »

Oui il y a eu des confinements partiels, comme en Allemagne, en Hollande, dans beaucoup de pays d’Asie. Il y a eu des confinements par régions, il y aurait pu avoir des confinements par clusters de zones avec forte propagation, des personnes à risques, et il y a eu le confinement total comme en France,Italie, Espagne et Grèce. Pour les trois premiers ce sont les pays au plus haut taux de mortalité. Le virus de toute façon circule et il nous faut nous immuniser.

Jour 4

Encore un grand soleil. Un mauvais café. Paris sans ses petits cafés, c’est drôle. Ce sont les supermarchés, les petites épiceries qui proposent discretement la tasse aux passants. Longue journée, mais tous les lits ne sont pas remplis. J’ai l’impression de ne pas quitter mes patients, de blouses en blouses. Crise d’angoisses, douleurs et quinte de toux. Une vieille dame chinoise est accueillie dans une chambre double. Je l’installe. Sa voisine de chambre me glisse dans un sarcasme quand elle a le dos tourné « Une chinoise ! c’est le comble. » Je la regarde interloqué devant un tel racisme assumé, elle me dévisage. j’aimerais prendre la vielle chinoise dans les bras. Elle tousse beaucoup et est tres génée de déranger sa voisine qui crie qu’elle veut parler à le direction pour etre changer de chambre. Elle se calme un peu avec l’arrivée du médecin qui lui rappelle qu’elle a déjà le virus.

C’est jour de fete aujourd’hui, on a reçu des cartons entiers de kinder. Des plats cambodgiens et de lenotre, et des patisseries orientales.

Je suis fatiguée. Beaucoup d’infos se croisent dans ma tête et nous ne parlons que très peu entre infirmiers de ce que nous faisons. Encore moins avec les médecins.

En gros, je retiens de nos connaissances actuelles sur le virus trois choses :

la recherche établit par croisement de données un tableau statistique hebdomadaire au niveau de l’ile de France. Les patients ont en commun d’être majoritairement sous traitement d’IEC pour des maladies cardiaques (inhibiteur de l’enzyme calcique), cortisone au long cours, pour le diabete. Est ce le traitement ou la pathologie qui predisposent ?

La majorité des décès touche des hommes de plus de 60 ans. Cela n’exclut pas des déces dans d’autres tranches d’age et chez les femmes comme des placements en réanimation sans comorbidité.

De nombreux témoignages parlent d’hécatombes en Iran ou à New york. Des patients qui sans consultation sont retrouvés en arret en pleine rue ou en detresse respiratoire aigue. La Belgique a de nombreux décès. Les mesures de confinement dans le monde ont des logiques terribles : appartements scellés en Chine, émeutes en Inde, réquisition, arrestation, racisme et peur. Le virus de la peur est exacerbé par le confinement. Devant autant d’informations et des zones durement touchées pendant que d’autres n’ont pas un seul cas, il nous faut penser ensemble, penser entre habitants d’un même quartier ou village, camarades, proches et amants. Sans cela nous perdrons la raison. C’est cela que le confinement a empeché, l’intelligence collective. Et probablement qu’à certains endroits, pour certaines personnes la solution aurait été un isolement avec soin.

Des gens sont morts d’avoir été confinés avec leur proches malades, sans médecin ni recours. Des gens sont morts parce qu’il n’y avait pas de respirateurs ou de machines adaptées dans leur zones. Pourtant la plupart des cliniques et des hopitaux à une heure de Paris sont vides.

Jour 5

Je pars. Il fait tres chaud. Toujours la police à l’entrée du train. Un homme les mains et les vêtements pleins de sang cherche de l’aide sur le quai. Juste de quoi téléphoner pour qu’on vienne le chercher. Je lui passe mon telephone. Il semble épuisé. Il traine une entorse depuis un mois et n’a pas de soins.

1Lettre à Lili Brik de Maäkovski. Elle avait contracté la grippe espagnole.